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Être artiste est un métier. J’ai appris aux USA à professionnaliser mon hobby en métier, c’est-à-dire savoir séparer le talent du succès, mettre mes passions au rang des dépenses exceptionnelles et rechercher l’efficacité. Passer maître, c’est savoir rester à l’équilibre entre les nécessités de l’atelier, les nécessités du budget et les nécessités de l’art.
L’art est gourmand. Plus il devient artisanal, plus les règles de l’artisanat s’appliquent. Il y a les petits bricoleurs et les savants de métier, ceux dont le geste est adroit. Le talent est à l’équilibre entre la dextérité du geste et la beauté qui en ressort. Être artiste, c’est parler aux sentiments des autres à un niveau qui touche la conscience. Une œuvre est une émotion avant tout. La renommée de l’artiste grandit lorsque ses émotions à lui éveillent les émotions des autres. Une communion s’installe et pour laquelle des gens sont prêts à payer. De la même manière que des personnes vont au restaurant, jouent au casino ou partent en vacances, certaines personnes achètent de l’art. C’est ce qu’on appelle un marché. Se professionnaliser, c’est connaître son marché.
Il m’est souvent arrivé d’observer que certains artistes ont un marché presque inépuisable, mais ils passent leur vie à faire toujours la même chose, et c’est ce constat qui m’a longtemps retenue de me professionnaliser, parce que leur initiative artistique de départ se transforme en artisanat. Je n’avais pas envie de devenir artisan.
Mon activité artistique a mûri lentement. J’ai fait 3 années en F12 pour apprendre les techniques de l’art au lycée, puis 7 années d’archi durant lesquelles je passais mes matinées, avant l’école, dans un atelier de modelage. Malheureusement, en France, les écoles ne proposent rien d’autre que de la terre crue, c’est-à-dire un avortement précoce de la démarche artistique. La professionnalisation en France est taboue, et c’est culturel.
J’ai longtemps vécu avec l’idée que tout ce qui est compliqué est luxueux. C’est sans doute vrai, mais d’une façon dont la France s’approprie le luxe et rend tout compliqué. Aux USA, j’ai découvert une autre approche où rendre les choses simples leur donne toute noblesse. Les collèges ont des ateliers de céramique avec fours. Les lycées ont des fours. Les universités ont des fours, parce qu’aux USA, il ne sert à rien de perdre du temps à fabriquer des choses qu’on ne peut pas vendre. Une pièce, si belle soit-elle, si elle n’est pas finie, ne peut pas être vendue. La finitude des choses est ce qui leur donne une raison d’être.
Les USA sont pour moi une sorte de réveil. D’un côté, on trouve beaucoup d’artistes artisans, parce que leur réglementation est moins restrictive qu’en France sur les petites productions de séries, mais en même temps, il y a une forme d’épuisement. Les artistes vont jusqu’à l’épuisement de leur marché là où les Français n’en ont même pas pris la notion. Ils trouvent un filon, l’exploitent, puis changent de clientèle. Certains survivent au renouvellement, d’autres perdent leur enthousiasme. La richesse de Los Angeles permet aux artistes de rebondir parce que la ville fait appel à eux via les studios de cinéma, les marchés de l’art, le tourisme culturel. L’art est intégré dans la vie des casinos, des décors de films, des farmers markets. Là où la France met des barrières, la ville de Los Angeles s’emploie à les enlever.
J’ai obtenu un statut particulier aux USA que je souhaite préserver et, pour toutes les raisons artistiques qui me permettent de me renouveler aux USA, je garde mes attaches, mes petits cercles d’amis, mes cercles professionnels aux USA. Mais la France présente un autre intérêt qui n’est pas des moindres : c’est l’identité artistique. Là où les USA tendent à être académiques dans un système de classe de plus en plus voyant, la France, dans mon parcours, a été plus révolutionnaire. En ne cherchant pas l’artisanat et le marché à tout prix, la France laisse une place pour l’inspiration de grandir. C’est un lieu pour l’innovation et la découverte.
Je pense qu’une carrière professionnelle d’artiste a besoin des deux pour se développer de manière « sustainable », c’est-à-dire pouvoir vivre de son travail et bien vivre, payer les factures courantes, capitaliser pour ses vieux jours et mettre de l’argent de côté pour les loisirs et les sorties. J’ai changé mon hobby en métier pour arriver à cela et, au contraire, j’ai changé mon ancien métier en hobby pour me permettre d’aller plus loin, former des jeunes et ouvrir un dialogue intercommunautaire.
Mon métier d’artiste me permet d’être plus commerçante, plus amusante aussi. J’ai longtemps souffert de ne pas pouvoir faire le clown, ne pas pouvoir laisser le sérieux de mon métier de côté. À 56 ans, je me rattrape. J’ai 10 ans pour bien profiter d’être une artiste et de prévoir la vie pour mes vieux jours. Se professionnaliser est une manière lucide de voir la vie.
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